SHI SAN SHI (13 postures) sens et divers éléments historiques
Shi san shi ; définition et étymologie
SHI | Symbole de l’étendue (deux dimensions) et des cinq points cardinaux ; Est, Ouest, Sud, Nord, et Centre. (Wieger 24) | Dix, dizaine, complet, entier, parfait, totalement, tout. (Ricci 4350) |
Remarquons que l’idéogramme contient dans sa graphie les cinq directions, ceci a son importance pour la suite.
SAN |
Trois, triple (N.B. dans la numérologie chinoise, trois est le nombre des souffles qi à partir de quoi sont formés les 10 000 êtres) plusieurs, plusieurs fois (Ricci 4196)
|
Correspond aux énergies du ciel, de l’homme et la terre
SHI | Puissance (Wieger 71) |
Shi est traduit le plus souvent par posture, pourtant si l’on veut exprimer précisément ce sens, il faudrait plutôt utiliser les deux caractères jia shi. Shi exprime plutôt une force, une puissance voir une expression énergétique.[1] Traduire shi par « posture » ne nous satisfait donc pas, nous rejoignons les traducteurs du livre de maître Wang Yen Nien[2] lorsqu’ils ont proposé « 13 mouvements », afin de traduire shi san shi, nous retiendrons cette dernière proposition plutôt que celle de « 13 postures ».
Il n’est pourtant pas aisé d’utiliser « 13 mouvements » comme traduction de shi san shi étant donné que la proposition de « 13 postures » semble avoir fait l’unanimité auprès des auteurs. Le plus souvent, nous utiliserons donc le chinois ou sinon nous indiquerons les deux propositions ainsi ; « 13 mouvements » ou « 13 postures ».
Premières traces chez la famille Chen :
Dès le 17ème siècle, d’après la famille Chen, on trouve le caractère peng (une des huit techniques du taiji quan) dans un chant attribué à Chen Wangting (1600-1680) Suivant le Chenshi quan xie pu [3](recueil de la boxe et des armes de la famille Chen) daté du 18ème siècle, le toutao quan (1er enchaînement de boxe) portait alors le nom de shi san shi.
Les auteurs T.Dufresne et J.Nguyen affirment que le taiji quan aurait subi l’influence de la boxe de Shaolin, la proximité du village de la famille Chen (Chenjiagou) avec le monastère leur laisse à penser que la boxe de Shaolin a largement influencé celle de la famille Chen.[4] Ces mêmes auteurs[5] s’appuient aussi sur le fait que les techniques : Lu, Ji, An, Cai et Zhou [6] existaient dans le Shaolin ancien, ces gestes ne sont donc pas la seule propriété du taiji quan. Ils étaient largement répandus à travers la sphère d’influence du monastère.
L’influence de Shaolin s’étendait jusqu’à des régions éloignées, un enchaînement nommé également shi san shi était répandu dans la province du Fujian, il fut à l’origine d’un kata d’Okinawa, il prit alors le nom de seisan lorsqu’il fut adopté par des maîtres de l’Okinawa té. Les trois sources du kata seisan [7]proviennent toutes de la région du Fujian dans le sud de la Chine proche de l’île d’Okinawa. On dénombre trois sources du kata seisan par ordre chronologique ; la première provient de Matsumura Sokon (1800-1896) qui créa le shuri-té, il fut l’élève à partir de 1830 de Iwa, expert en bai he quan[8] et d’Ason. La deuxième source provient de Higaonna Kanryo (1853-1916) qui fut l’élève de Ru Ru Ko et de son assistant Iwa à partir de 1874 et ceci pendant une quinzaine d’années. Enfin la troisième source provient de Uechi Kanbun (1877-1948) fondateur du Uechi-ryu qui resta au Fujian de 1897 à 1910 et fut l’élève de Shushiwa (expert en pangai-noon) et de Go Kenki (expert en bai he quan)
Parmi ceux à qui on attribue la transmission de seisan, nous trouvons trois maîtres du style bai he quan, cette école prend sa source au monastère de Shaolin, un moine Fang Zhong Gong (expert des 18 poings du Luohan) quitte le monastère de Shaolin au 18ème siècle [10]et se réfugie dans la province du Fujian dans un monastère qui prendra le nom de Shaolin du Sud. Ce fut sa fille Fang Jin Jang qui inventa le bai he quan à partir de l’enseignement de son père et de ces propres observations sur les méthodes de défense et d’attaque de la grue. Les caractéristiques de l’école ; main en crochet, positions sur une jambe, attaques sur genou et cheville se retrouvent dans les enchaînements du taiji quan.
Rien ne vient pourtant attester que le shi san shi de la région du Fujian et celui de la région du Henan (la région de la famille Chen)[11] soient identiques ou puissent être de la même source. Ils portent pourtant le même nom, ce qui nous laisse à penser qu’ils aient pu avoir des éléments communs. Quels pouvaient-ils être ? Certaines techniques contenues dans la boxe Shaolin ? Le shi san shi ou des shi san shi semblent avoir appartenu à la tradition du courant Shaolin et cette tradition se serait transmise au village Chen mais aurait fait aussi son chemin jusqu’à Okinawa.
En 1852, Wu Cheng Qing (1802-1884), frère de Wu Yuxiang (1812-1880)[12] trouva deux textes dans un dépôt de sel:
- le yinfu qiang (la lance yinfu)
- le quanpu (recueil de la boxe)
Dans ce dernier, se trouvait des textes attribués à Wang Zhong Yue, il les aurait écrits sous le règne de Qianlong (1736-1795), ceux-ci seraient directement inspirés des textes classiques, des annales historiques, du livre de l’empereur jaune, du Lao Zi et du Sun Zi. Le quanpu se constituait de plusieurs textes :
- Le taiji quan lun (traité du taiji quan)[13]
- Le shi san shi (13 mouvements ou 13 postures)
- Le shi san shi xing gong xin jie (explications sur l’entraînement aux treize mouvements)
- le da shou yao yin (mots importants de tui shou)
- le da shou ge (chant du tui shou)
Si les tenants de l’école Yang reconnaissent en Wang Zhong Yue une de leurs influences majeures, ce n’est pas l’avis des membres de la famille Chen qui accorde à Wang Zhong Yue une place moindre allant même jusqu’à douter de son existence. Cette découverte effectuée par un membre de la famille Wu, proche de la famille Yang, a été fortement contestée. Les textes ont été considérés comme apocryphes, on a affirmé qu’ils avaient été écrits de la main même de Wu Yu Xiang, celui-ci cherchant à mettre en avant l’école Yang grâce à ces traités. La famille Chen avait de son côté compilé quelques textes consacrés au taiji quan (voir Taiji quan T.Dufresnes et J.Nguyen p25). Malgré ces dissensions entre écoles, Chen Xin (1849-1929) intégrera un peu plus tard, dans son Chen shi taiji quan tushuo écrit entre 1908 et 1919 des éléments provenant des textes attribués à Wang Zhong Yue.[14]
Les textes trouvés par Wu Cheng Qing sont aujourd’hui étudiés par l’ensemble des écoles de taiji quan, que ces textes aient été écrits de la main de Wang Zhong Yue ou bien par celle de Wu Yu Xiang conserve bien peu d’importance[15]au regard de l’immense apport que ces textes constituent pour la bonne compréhension des principes de la discipline.
[1] à ce sujet consultez les écrits de C.Jeanmougin ; Yangjia michuan taiji quan Tome 1 et Tome 2
[2] C15 Yangjia michuan taiji quan 1993 Wang Yen Nien
[3] P 23 Taiji quan T.Dufresne et J.Nguyen Budostore
[4] Voir p 52 à 61 Taiji quan T.Dufresne et J.Nguyen Budostore
[5] P 63 Taiji quan T.Dufresne et J.Nguyen Budostore
[6] Elles appartiennent aux huit techniques du taiji quan
[7] d’après G. et R. Habersetzer voir Encyclopédie des arts martiaux d’Extrême-Orient
[8] Littéralement boxe de la grue blanche
[10] P 51 Encyclopédie des arts martiaux de l’extrême Orient G. et R. Habersetzer
[11] Le premier manuel décrivant les techniques de l’école Chen est celui de Chen Xin (ou Chen Pinsan), il est daté de 1919, il décrit le premier enchaînement de l’école Chen, celui-ci est divisé en 13 parties constituant les treize mouvements ou 13 postures, voir Despeux dans taiji quan art martial technique de longue vie p 217-266
[12] Créateur d’un style de taiji quan portant son nom, élève de Yang Lu Chan (1799-1872) et de Chen Qing Ping (1795-1869)
[13] Pour les adeptes du style Yang, il s’agit de la 1er mention du terme taiji quan
[14] P 21 Le taiji quan des origines J.Carmona. Ce texte de Chen Xin reprend également tout un ensemble de notions tel que le Wu Ji, le Taiji, le He tu, le Luo shu, les trigrammes, le San Cai, etc.…Une partie de l’ouvrage est consacré aux méridiens d’énergie.
[15] Nous avons pu remarqué que suivant les auteurs des livres que nous avons consultés que le traité du taiji quan pouvait être attribué aussi bien à Zhang Sanfeng qu’à Wang Zhong Yue, ou même à Wu Yuxiang.
Sources photo : Pixabay et archives personnelles
Carnets de Chine ; le thé
Le thé par Jean-Louis Porte
Carnets de Chine ; nouilles, riz et raviolis
Chine du nord et Chine du Sud ; blé et riz par Jean-Louis Porte
Paroles de maître ; maître Wang Yen Nien
Relevé dans l’article à l’hommage que Gilles Thibault a consacré suite au décès de maître Wang
"Digne héritier d'une école de Taïijiquan rare et inestimable, il a répété maintes fois -et je l'ai moi-même entendu le dire- que...
"Bien qu'il existe une grande diversité d'écoles de Taïjiquan, celles-ci font toutes partie d'un remarquable héritage culturel commun. Chacune des écoles est une cristallisation de la sagesse des anciens Chinois et, à ce titre, elles méritent toutes d'être apprises et transmises". Wang Yen-nien
Quelle belle leçon de modestie et de tolérance !
De notre part, nous tenons à associer une autre déclaration de maître Wang à l’attention de tous les pratiquants des écoles de taiji quan que nous pouvons étendre aux autres méthodes et arts martiaux,
"J'aimerais que quelque soit le style de taijiquan que nous pratiquions, nous n'en venions pas à critiquer les autres styles, à proclamer que tel style est authentique, et tel autre ne l'est pas. Parce que tous ceux qui ont créé ces différents styles de taijiquan ont aujourd'hui disparu."
Wang Yen Nien
POEME
Dans les grottes du Dunhuang, j'ai lu l'extrait d'un poème que voici :
"A la naissance, l'esprit dort encore,
Quand il s'éveille, le corps est trop vieux.
Le corps se plaint que l'esprit naisse tardivement,
l'esprit regrette que le corps naisse si tôt.
Si corps et sagesse ne se rencontrent pas,
Combien de fois faudra t'il renaître ?
Si corps et sagesse se croisent,
A lors l'accomplissement est possible."