Aspects théoriques du shi san shi ou treize postures
LE QUAN PU (compilation de textes sur le taiji quan)
A travers les apports du contenu du « Quan pu » et plus particulièrement du "traité du taiji quan" un des textes de cette compilation de textes exposant l’essentiel de la théorie du taiji quan. Ce "Quan pu" mise à jour en 1852 est considéré par les tenants de l’école Yang comme le premier écrit sur le taiji quan, il inspirera ensuite d’autres textes tels ceux de Wu Yuxiang, Li Yixu (1833-1892) neveu de Wu Yuxiang, Yang Chen Fu (1883-1936), Shong Suming,[2] Chen Xin de l’école Chen et Wu Gong Zao de l’école Wu.
Pour une grande partie d’entre eux, ces auteurs s’appuieront sur le contenu théorique contenu dans le "Quan pu" afin exposer leurs propres conceptions du taiji quan (voir « les dix principes essentiels du taiji quan » de Yang Chen Fu ou bien les « Formules des cinq principes » de Li Yixu). Notons que le shi san shi (13 mouvements) semble avoir moins inspirer les auteurs postérieurs à la découvert du "Quan pu", les explications les plus complètes sur ces 13 mouvements restent donc celles du « traité du taiji quan ». Nous avons tiré des textes à notre disposition ce qui était relatif au shi san shi, voici ces extraits :
Les treize mouvements (shi san shi) ; les écrits
Traité sur le taiji quan [3] attribué à Zhang Sanfeng
«…La longue boxe est semblable aux flots du fleuve Bleu ou de la mer, qui se meuvent continuellement et sans fin. Parer (peng), tirer vers l’arrière (lu), presser (ji), repousser (an), trancher (cai), tordre (lie), donner un coup de coude (zhou), et donner un coup d’épaule (kao) représentent les huit trigrammes. Avancer, reculer, se déplacer vers la gauche, se déplacer vers la droite et se fixer au centre correspondent aux cinq éléments. Parer, tirer vers l’arrière, presser, et repousser correspondent respectivement aux trigrammes qian, kun, kan et li ; ils représentent les quatre orientations cardinales. Trancher, tordre, donner un coup de coude, et donner un coup d’épaule correspondent respectivement aux trigrammes xun, zhen, dui et gen qui représentent les quatre orientations diagonales. Avancer, reculer, se déplacer vers la gauche, se déplacer vers la droite et se fixer au centre correspondent respectivement au métal, au bois, à l’eau, au feu et à la terre. Ces gestes représentent les treize mouvements ».
Le chant des poussées des mains [4]
« En pratiquant parer (peng), tirer (lu), presser (ji) et appuyer (an) vous devez être consciencieux… »
Chant des treize mouvements Song Shuming
« Ne néglige pas les treize mouvements… »
Chant des huit caractères Xu Xuanping ou Song Shuming
« Parer, tirer vers l’arrière, presser, repousser, de par le monde, rares sont ceux qui connaissent ces techniques…Trancher, tordre, donner un coup de coude, donner un coup d’épaule sont des techniques encore plus merveilleuses… »
Chant du tui shou auteur inconnu origine Chenjia Gou
« Il faut parfaitement connaître ji, peng, lu, na
Le haut et le bas se suivant l’un l’autre, l’adversaire a des difficultés à entrer… »
Apparaît ici une autre technique na (presser)
Origine école Wu[5]
« Les treize postures sont le (produit) de la théorie des Cinq Eléments et des Huit Trigrammes. Elles représentent la totalité des treize jin de l’échange des mains. Il n’existe pas d’autres Treize Postures. Les Cinq Eléments sont Avancer, reculer, Prêter attention à gauche, Regardez à droite et Equilibre au centre. Elles peuvent s’interpréter comme une séparation de l’interne et de l’externe. Celles qui s’appliquent à l’externe sont Avancer, reculer, Prêter attention à gauche, Regarder vers la droite et Equilibre au centre. Celles qui s’appliquent à l’Interne sont Attacher, Se connecter, Adhérer, Suivre, Ne pas perdre et ne pas résister. »
Attacher, se connecter, adhérer, suivre, ne pas perdre et ne pas résister concerne la pratique du tui shou.
Les treize mouvements (shi san shi) : L'ossature du taiji quan ancien ?
A l'exception du texte issu de la tradition de l’école Chen, remarquons que les textes ci-dessus ne font pas mention de techniques autres que celles des treize mouvements. Selon le contenu du "traité du taiji quan", ces treize mouvements auraient donc constitué l'ossature du taiji quan ancien encore appelé "longue boxe" (chang quan). Le contenu des textes composant le "Quan pu" se caractérise par l'association de principes tels que celui du taiji avec certaines techniques martiales, l'ensemble constituant une discipline originale ; la boxe du taiji ou taiji quan. A la même époque[6], sous l’influence de maîtres illustres, taiji quan, xing yi quan et ba gua zhang furent regroupés dans une même famille nommée nei jia, ainsi ces trois arts dits internes se différenciaient des boxes inspirées par le monastère de Shaolin. Ce courant fut attribué à Zhang Sanfeng, le taiji quan se trouva ainsi un patriarche en la personne d’un ermite taoïste.
L'auteur (ou les auteurs) du "Quan pu" en associant les techniques du taiji quan naissant aux conceptions du Yi jing (yin-yang, bigrammes, trigrammes et hexagrammes) ainsi qu'à celle des cinq éléments issus de l'énergétique chinoise (théorie développée dans le nei jing su wen considéré comme le "classique de l'interne"), relia de fait le taiji quan à la tradition antique chinoise. Si le rattachement à Zhang San Feng renommé pour ses recherches sur la longévité apporta du crédit au taiji quan en rapport à son aspect prophylactique, relier le taiji quan aux trigrammes et aux cinq éléments le mettra en relation avec une tradition beaucoup plus ancienne symbolisée par deux des ancêtres de la mythologie chinoise.
- Fu Xi l’un des premiers empereurs ; inventeur des trigrammes
- Yu Le Grand, premier empereur de la dynastie des Xia
Légendes ; Fu Xi et le dragon/ Yu Le grand et la tortue
La légende raconte que Fu Xi rencontra un cheval-dragon portant sur son dos une figure complexe nommée He Tu. Fu Xi interpréta ce diagramme et créa huit combinaisons de traits pleins et discontinus ; les trigrammes.
Yu le Grand (2205 av J.C.) fut l’auteur du premier texte sur les cinq éléments ; le Hong Fan ou "l'écriture ou livre de Luo". Yu le Grand écrit ce texte aussi à partir d'un diagramme, cette fois ce fut une tortue qui lui révéla en sortant du fleuve Luo.
Ces deux légendes rapportent la rencontre d'un éminent personnage avec un animal mythique porteur d'un message à l'adresse des humains leur permettant d'appréhender le monde. Le dragon, la licorne et la tortue font partie des quatre animaux mythiques porte-bonheur, le quatrième étant le phénix. Il est courant dans la tradition chinoise que ce soit un animal qui soit porteur d'une bonne nouvelle ; ainsi la naissance de Confucius fut annoncée par deux dragons.
Autre légende ; Zhang San Feng la pie et le serpent
Une autre légende raconte que Zhang San Feng, le créateur présumé du taiji quan fut l'observateur d'un combat entre un oiseau et un serpent, celui-ci remporta la partie grâce à ces mouvements curvilignes. Cette scène fit comprendre à Zhang San Feng la suprématie de la rondeur sur la dureté. L'oiseau en question était une pie, en traduisant littéralement les idéogrammes Xi Que utilisés afin de désigner une pie, nous obtenons "oiseau qui apporte de bonnes nouvelles" Au vu de ce qu'est devenu le taiji quan au fil des ans, c'était sans conteste une bonne nouvelle !
Dressons maintenant un tableau des évènements liés à Fu Xi et à Yu Le Grand et leurs associations
Le HE TU ; tableau du fleuve (origine des trigrammes)
A l'origine des trigrammes, paradoxalement sa disposition en croix inspirera une disposition en étoile ou rose des vents, celle utilisée couramment afin de représenter les trigrammes.
Le LUO SHU ; écrit du fleuve Luo (origine des cinq éléments)
Le diagramme à l’origine des cinq éléments se présente sous une forme d’étoile, il inspirera pourtant une forme en croix que l’on retrouve au centre de celui-ci.
Le HONG FAN ; premier écrit sur les cinq éléments
« L’eau mouille et descend et devient salée, le bois se laisse courber et redresser et prend une saveur acide, le feu brûle, s'élève et prend une saveur amère, la terre reçoit la semence, donne les récoltes et prend une saveur douce, le métal obéit à la main de l'ouvrier, prend différentes formes et prend une saveur âcre » (Chou King)
Relation entre déplacements et cinq éléments
Si nous reprenons les liens tissés entre les déplacements et les éléments décrits dans
« le traité du taiji quan », nous obtenons ce diagramme. Voici une première proposition en adéquation avec le texte.
Remarquons que les associations entre éléments et déplacements ont ceci de particulier qu’elles ne correspondent pas à celles utilisées en énergétique chinoise. De nombreux auteurs[7] ont donc préféré associer éléments et direction en fonction de cette théorie, même si ces propositions ne respectaient donc plus ainsi le texte initial du "traité du taiji quan". Voici une deuxième proposition en adéquation avec la théorie de l’énergétique chinoise.
Relation entre gestes, directions et trigrammes
Le texte du "traité du taiji quan" associe chacun des gestes du taiji quan à un trigramme et à une direction de l'espace.
La disposition des trigrammes se présente selon celle dite du Ciel antérieur attribué à Fu Xi. Nous retrouvons la disposition en étoile comme dans l'enchaînement du shi san shi.
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Shi san shi ; gestes, trigrammes, directions, éléments, déplacements
Associons maintenant les deux diagrammes précédents, celui des cinq déplacements avec celui des huit gestes associés aux huit trigrammes, combinant ainsi les 13 postures, cela donne ceci :
Sources :
Chou King les annales de la Chine S.Couvreur
Encyclopédie des arts martiaux de l’extrême Orient G. et R. Habersetzer
La pensée chinoise M.Granet
Le magot de Chine ou trésor du symbolisme chinois Situ Shuang
Taiji quan T.Dufresne et J.Nguyen Budostore
Yangjia michuan taiji quan Tome 1 C.Jeanmougin
Yangjia michuan taiji quan Tome 2 C.Jeanmougin
Yi King Wilhem/Perrot
[2] Voir sur ce personnage C.Despeux p21 taiji quan art martial technique de longue-vie
[3] Dans Yangjia michuan taiji quan par Wang Yen Nien page C-3, cet extrait est attribué à Zhang Sanfeng.
Fu Zhongwen l’attribue à Wang Zhongyue dans « Maîtriser le style Yang de taiji quan » p 269.
Ce même texte est attribué à Wu Yuxiang par C.Despeux p 120 dans taiji quan art martial technique de longue vie