REFLEXIONS SUR L’EVOLUTION ET LES CONDITIONS DE TRANSMISSION DU TAI JI QUAN (TAI CHI CHUAN)
Les conditions de transmission des formes de taiji quan sont souvent illustrées par des histoires ou anecdotes plus ou moins véridiques, la réalité était certainement d’une tout autre nature. Si l’histoire n’a retenu le plus souvent que quelques dates et événements de la vie des maîtres de la première moitié du 20ème siècle, leurs histoires personnelles ont été profondément marquées par les événements sociaux et politiques de cette période ; guerre des boxeurs, début de la république chinoise, guerre sino-japonaise, guerre frâticide entre nationalistes et communistes, et instauration du régime communiste en 1949.
A L'INTERIEUR DES CLANS FONDATEURS L'APPRENTISSAGE ETAIT RUDE
Certains de ces maîtres ont vu beaucoup de malheurs et de tristesse autour d’eux, ces circonstances ont forgé dans leur esprit la volonté de donner le plus possible au plus grand nombre par le biais des bienfaits que l’on pouvait retirer de la pratique du taiji quan. Malgré les remous liés à la transformation radicale de la société chinoise, ces maîtres n’ont pas compté leurs efforts pour développer et promouvoir cet art, pour cela ils demeurent un exemple d’abnégation et de volonté inébranlable. S’ils sont devenus maintenant des figures emblématiques, ils ont payé de leurs efforts et de leurs constances ces places d’honneur. Leurs histoires personnelles sont marquées par le fait que ce qu’il leur a été donné l’a été au prix de gros efforts. En voici quelques exemples,
Yang Jian Hou (1839-1917) aurait été soumis à un entraînement tellement intense qu’il se serait enfui de la maison familiale afin d’y échapper.
Soulignons qu’à son tour, il aurait fait subir un même traitement à ses enfants, c’est pour cette raison que Yang Chengfu (1883-1936) aurait quitté le clan ne supportant plus les conditions d'entraînement. Il fallait posséder des capacités physiques et mentales hors du commun pour absorber les méthodes d’entraînement ayant cours dans ces familles dont un grand nombre de leurs représentants faisaient des arts martiaux leur profession. L’honneur et la réputation du clan familial conditionnaient cette éducation de fer.
Selon Wang Yen Nien, Zhang Qinlin (1888-1967) a semblé ne jamais faillir, il possédait des capacités exceptionnelles qui lui ont permis de « supporter » la pression de l’entraînement auquel il était soumis. C’est sans doute ces qualités qui lui ont permis d’être accepté au sein de la famille Yang au point que Yang Jian Hou l’ait choisi lui plutôt qu’un de ses fils, afin de lui transmettre la méthode familiale.[2].
Zhang Qinlin a eu ces mêmes exigences envers Wang Yen Nien puisque selon lui, il fut soumis à quelques six heures d’entraînement par jour pendant ces cinq années de formation auprès de Zhang. Au vu de ces considérations, on ne peut guère comparer la pratique actuelle de taiji quan avec ce qui se passait au sein des familles ou clans de cette époque. Les enjeux, les motivations, les habitudes de vie, la vie politique du pays ont conditionné la pratique et l’enseignement de cette époque. Il était exigé aux disciples une implication totale ainsi qu’un dévouement absolu à leur maître. En échange de cet enseignement, le disciple ou élève se devait de donner à son maître et à sa famille tout ce dont il avait besoin. C’est ainsi que Zhang a travaillé comme serviteur chez les Yang et recevait en échange l’enseignement destiné aux « extérieurs » [3]de la famille.
Wang Yen Nien pendant son apprentissage auprès de Zhang Qinlin s’occupa des besoins de celui-ci et aussi de ceux de la femme et de la fille de Zhang. A cette époque, certains maîtres ne s’entouraient que d’un ou de quelques disciples, ceci suffisait à leur garantir un niveau de vie confortable. Il poursuivra sa formation auprès de Zhang malgré les vicissitudes de ses taches militaires, Wang aura vécu douze années de guerre de 1937 à 1949.
L'EVOLUTION DU TAIJI QUAN MODERNE
La première moitié du 20ème siècle fut donc très troublée, les auteurs de la transformation d’un art de combat comme le taiji quan en un art exprimant la paix et l’harmonie, proposèrent un modèle ou des modèles de gestuelles ritualisées propre à apporter calme et paix à leurs adeptes[1] ; peut-être que ces formes lentes de taiji quan ont été la réponse à un monde et à ces événements troublés.
[1] Il s’agit du même phénomène qu’au Japon, où les écoles martiales sont devenues pour certaines des Do (voie) dépassant l’aspect guerrier originel
[2] La raison habituellement invoquée est le fait que Zhang ait remporté le duel qui l’opposa à Wang Laisheng qui défia la famille Yang en l’occurrence Yang Chengfu.
[3] Forme en 81 mouvements